Pour Joan, travailler sur le projet d’Ambatofotsy avec ASFQ est un retour aux sources, non seulement parce qu’il se situe à Madagascar, sa terre natale, mais aussi parce qu’il ravive les souvenirs de 2007, à la fois année de l’obtention de son diplôme d’architecture à l’Université de Montréal et du lancement d’ASFQ à laquelle elle était présente.


C’est lors de son dernier passage à Montréal en 2020, qu’elle en profite pour reprendre contact avec ASFQ et se proposer comme architecte bénévole sur d’éventuels projets dans la région de l’Océan Indien. Sa participation à la deuxième phase du projet d’Ambatofotsy se discute autour d’un café un matin tôt, avec notre directeur Bruno Demers, (à une époque où cela était encore possible). Une belle rencontre avec une architecte au parcours exceptionnel.



Centre de santé d’Ambatofotsy


Une citoyenne du monde
L’intérêt pour l’architecture lui est venu très tôt. Petite fille, dans les années 80, alors qu’elle et ses parents résidaient aux États-Unis, elle se souvient d’après-midis entiers passés à feuilleter des magazines illustrés de plans de maisons. Pourtant personne de sa famille ne travaillait dans ce domaine. La provenance mystérieuse de ces magazines, mêlés à la fascination pour  les magnifiques croquis de perspectives dessinées à la main, marqua si profondément son imagination qu’elle lui donna l’énergie de surmonter toutes les contraintes qui tentèrent de l’écarter de cette voie. Au Lycée Français d’Antananarivo, un professeur de dessin lui exposa l’impossibilité d’une carrière d’architecte en raison de son niveau en dessin et de son cursus dans une série littéraire. Sa réaction fût contraire, puisque Joan se fixa alors cet objectif comme un défi personnel. 

Retour aux antipodes
Arrivée à Montréal en Septembre 2000, Joan passa comme prévu son Baccalauréat puis sa Maîtrise en architecture. Elle évoque dans ses souvenirs l’intensité des charrettes, les 5 à 7 mémorables dans les salles d’atelier, des critiques qui lui ont parfois fait douter de ses choix de carrière et du soulagement à l’obtention de son diplôme en 2007. Elle choisit alors de rester au Québec pour travailler dans la firme où elle avait commencé son stage dès le début de sa Maîtrise et elle poursuivit pour cela les procédures pour intégrer l’Ordre des Architectes du Québec. Cependant des obligations familiales l’obligèrent à rentrer à Madagascar en 2012. Forte de son expérience au Canada elle s’inscrivit à l’Ordre des Architectes Malagasy. Pourtant, malgré plusieurs mois passés à collaborer dans des firmes locales pour mieux connaître l’environnement de travail la réadaptation au contexte architectural local se révélèrent plus difficiles que prévu. De plus, beaucoup de sites ne sont pas desservis par le réseau aérien ce qui la mena à parcourir plus de 2000 km par mois en voiture.

Une architecte reconnue
Aujourd’hui Joan gère une équipe de 8 personnes, qui travaille majoritairement au service de groupes industriels et commerciaux sur l’aménagement de boutiques et des bureaux et plus récemment sur des projets d’équipements (banques, maisons centrales, tribunaux). Un des grands défis à Madagascar est le faible nombre d’architectes, que les maîtres d’ouvrage confondent souvent avec les ingénieurs. Le nom de son entreprise Trano Architecture se réfère à “Trano Gasy” qui signifie Maison Malgache. Celle-ci était originellement construite en bois selon le modèle austronésien (Indonésie) à base carrée ou rectangulaire, puis l’argile et la brique se sont imposées en raison des métissages de cultures ainsi que du manque de ressources dû à la déforestation. Dans cette “maison”, Joan accepte ouvertement des stagiaires de tous horizons afin de transmettre son expérience. Elle est aussi très active au sein de l’Ordre des Architectes Malagasy. Elle participe bénévolement à plusieurs commissions pour mieux comprendre les rouages de l’administration publique, les processus d’attribution de marchés et les expertises de chacun. Deux années de consultation en tant qu’Architecte-Bénévole au sein de l’Instruction du Permis de Construire à la Commune Urbaine d’Antananarivo ont été très formatrices. En 2018, accompagnée de 2 autres architectes, elle lance la Maison de l’Architecture Malagasy pour véhiculer le message culturel et les fondements de l’architecture, afin de sensibiliser le public sur l’environnement bâti dans un pays où beaucoup est encore à construire. En poste en 2020 au Ministère de l’Aménagement du Territoire et des Travaux Publics, Joan a organisé avec le WWF le 1er concours sur le Logement Écologique à Madagascar.  


Trano architecture


La mission à Ambatofotsy
Ambatofotsy se trouve à l’ouest de la capitale Antananarivo, dans le Bongolava, une région riche en production de riz et de bovins, mais qui ne possède pas d’infrastructures pour sortir sa population de la pauvreté. Pourtant habituée aux routes malgaches, Joan avoue avoir sous-estimé au début du projet l’enclavement du site : 4 heures de trajet sur piste en pleine saison des pluies ont été nécessaires pour s’y rendre. Le travail des Soeurs de l’immaculée conception dans ces sites est indispensable. Plus de 35 personnes des villages environnants viennent se faire soigner et certains restent la nuit. Les cas les plus courants sont le paludisme et sans médicaments et soins appropriés des centaines de personnes décèdent tous les ans dans la région. Les soignants présents sur le site sont totalement investis dans leurs tâches, bien que leur travail n’ait pu débuter que depuis l’arrivée du Dr Dahlia, il y a quelques mois. La deuxième phase du projet consiste à construire pour ces soignants un logement afin de libérer la salle du dispensaire qu’ils occupent. Plusieurs chambres sont prévues pour les infirmiers dans un appartement équipé en cuisine et toilettes. Un logement spécifique sera réservé au médecin et à ses proches. L’objectif est aussi de travailler avec des techniciens capables d’améliorer des principes constructifs déjà traditionnellement utilisés dans la région.


Comme matériau, il est classique d’utiliser la latérite, une terre rouge omniprésente sur le sol malgache et caractéristique de l’architecture locale. On en trouve tout autour du village. Ses principes thermiques sont exploités en le mélangeant traditionnellement avec de la chaux et des végétaux (des fois animaux). Le travail est poussé jusqu’à l’enduit qui donne des finis très chaleureux. Les méthodes de réalisation du projet sont encore en cours de réflexion.



Soeur Robine (centre), Joan (droite), Safidy Ranaivoarimanana (stagiaire, droite)


Valim-babena
Cette expression se traduit par “rendre ce qu’on lui doit à la communauté qui nous a portés sur son dos”. Joan considère ce projet comme une opportunité de montrer sa gratitude envers les 2 pays où elle apprit et pratiqué l’architecture. 

Au-delà de sa profession d’architecte, Joan est aussi mère de 4 enfants, ce qui la confronte à des dilemmes auxquels la majorité des femmes font face. Mais le choix de passer parfois du temps loin de sa famille, est justifié par le sens et l’impact des projets sur lesquels elle s’investit. À Ambatofotsy en particulier, l’apport de solutions à des enjeux techniques pourrait transformer la vie de populations vulnérables dans une région enclavée de Madagascar. “J’encourage les architectes qui ont des attaches dans des pays en développement de s’engager encore plus dans des activités de coopération et d’échanges de compétences et de connaissances.”